Historique de l’Eutonie



La créatrice de l’eutonie, Gerda Alexander, est née à Wuppertal, en Allemagne, en 1908.

Comment cette méthode a-t-elle pu naître et évoluer sinon par tout un parcours particulier de cette personne ?



Dalcrozienne de première formation où elle fréquente les cours d’Otto Blensdorf et de sa fille Charlotte Mac-Jannet, elle suit, parallèlement, les cours de musique du Conservatoire de Bonn. Nantie de plusieurs diplômes elle devient élève assistante en rythmique à 16 ans, dans un contexte très bouleversé en matière d’expression corporelle. En effet, la danse moderne et autres gymnastiques se révèlent au grand public : danses expressives de Mary Wigman et les systèmes de gymnastiques dites modernes ne manquent pas de l’intéresser (Loheland, Nensendicck).



Très pragmatique, c’est pendant son passage comme élève assistante, qu’elle peut expérimenter ses premières orientations, en particulier ses idées sur le « mouvement naturel », très apprécié à cette époque. Son rôle consistait à préparer physiquement les élèves à la rythmique et au mouvement : une sorte de formation de base.



Les systèmes d’éducation corporelle se présentant comme créateurs d’un mouvement dit naturel avaient tendance, dans leurs démonstrations à garder la marque de leur origine et laissait transpirer une expression quelque peu stéréotypée (un naturel bien moulé, à caractère conditionnant). Observatrice de premier ordre elle remarquait la qualité naturelle de se mouvoir des enfants non soumis aux contraintes gestuelles d’un système rigide d’éducation corporelle1.



Dans le domaine des anecdotes pourrait-on citer encore sa clairvoyance dans ses examens lui permettant, par exemple, d’apprécier certains artistes dans la façon élégante de se mouvoir ou des sujets dont le comportement singulier leur permettait une récupération rapide de fatigues physiques.

Ainsi, pour ce qui est de l’aisance et de la maîtrise corporelle, l’un des plus grands jongleurs de son époque, Rastelli, avait-il attiré son attention et l’avait tellement impressionnée, qu’elle essaya un de ses tours de jonglerie qui consistait à faire rouler une balle de tennis sur son bras et de l’arrêter à volonté. Le mystère de cet événement se révéla lorsqu’elle sentit et compris, au bout d’un temps d’essais important, qu’il suffisait de relâcher les muscles au passage de la balle.



Autre fait marquant, la manière dont certains montagnards, au nord de l’Inde, portant des colis fort lourds, arrivaient à se reposer en l’espace d’une dizaine de minutes en s’allongeant sur le sol dur du sentier qu’ils empruntaient (fait rapporté par Anna Herrmann, professeur de gymnastique à Berlin au cours d’une conférence à Dusseldorf). Expérimentant cette façon de récupérer, Gerda Alexander découvre, pour la première fois, une des réactions de son corps : la sensation de bien être.



De découvertes en découvertes, elle étaye progressivement ses diverses expériences personnelles, les appuyant encore sur toute une série d’examens lors de son parcours pédagogique :

  • Passage dans un Institut Médico-Pédagogique, à Stadtrode (Etat de Thüringen).
  • Assistante rythmicienne à l’école pilote de l’Université de Jéna, chez le professeur Peter Petersen (1927).
  • Enseignement de la rythmique à Copenhague, pour la formation des jardinières d’enfants (1929, puis de 1933 à 1946).
  • Enseignement de la rythmique à Lunp au « Sydsvenska Gymnastikinstitut » dont le Major Thulin était directeur (1930 à 1939).

Remarque : Elle devait refuser sa nomination au Stadt-Theater de Berlin en 1933 à la suite de la prise du pouvoir, en Allemagne, par Hitler. Mais son goût particulier pour le théâtre l’amena à participer à la mise en scène de l’Orphée de Gluck au « Stad théater » de Malmǿ (Suède) en 1930 et de « Dido Ǽneas » de Purcell, ainsi que « Der Jager » de Kurt-Weil, en 1935.

  • Comme stagiaire, chez Anka Schulze, elle suit des cours pour l’éducation de la respiration et de la langue (tout mouvement tenait compte de la respiration, dans cette école) à la suite d’une santé plus que précaire (rhumatisme articulaire aigu avec endocardite).
  • Par sa rencontre, dans cette dernière école, avec Anita Hansen, Gerda Alexander (avec l’aide et la réflexion de cette personne qui affectionnait le mouvement naturel) élabore une gestuelle composée de « mouvements légers, aisés et faciles » des bras, sans y mettre une quelconque explication. La particulière finesse de perception de son corps était, sans doute, le moteur de ce genre de mouvement.
  • Elle devient metteur en scène et professeur de formation corporelle et de relaxation au « Kongelige Theater » de Copenhague ainsi qu’à l’école des théâtres privés de Sa rencontre avec le docteur Bartussek paraît primordiale puisque ce dernier est à l’origine du mot Eutonie. C’est au cours du premier congrès international d’orthopédie à Wien-Autridil (1950) qu’elle fit sa connaissance et ils travaillèrent ensemble pendant huit ans, chaque été.
  • Une autre rencontre, celle avec Charles Alexandre Niel qui était l’élève de Mathias Alexander. Avec Moshe Feldenkrais ils organisèrent le premier congrès international de « mouvement naturel et de relaxation », en août 1959 à Copenhague.



C’est à partir de 1940 qu’elle cherche à monter une école formant des rythmiciennes. Faute d’espace disponible elle réduit au maximum l’effectif de ses stagiaires de façon à pouvoir expérimenter ses découvertes sur un genre de mouvements novateurs. Dans son école elle forme des professionnelles du « mouvement naturel ».



Se construit et s’élabore alors toute une méthode dont elle dispense les traits dominants sous forme de conférences et de cours pratiques : en Suède, Allemagne, Autriche, Suisse et en France.

Ses idées très personnelles sur le mouvement et la façon de se mouvoir avec économie lui fait rencontrer différents mondes, en particulier celui de l’industrie : le « Cegos », la société des cadres des grandes entreprises en France et en Belgique (Electricité de France, Usines Berliet à Lyon et le SICOB). Des cours et des congrès sont organisés sur Paris, Barbizon, sans oublier Talloires.



Primordial encore est son passage aux Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active (CEMEA) où elle s’intéresse à leur pédagogie ce qui permit à sa méthode, entre autres, de véritablement se « démocratiser » et de se libérer de certaines contraintes organisationnelles, « conceptionelles », méthodologiques. Elle assurait, tous les ans, en janvier, un stage d’une semaine, afin d’informer les instructeurs de cette association, auxquels venaient se joindre des sympathisants, au château de Vaugrigneuse dans la région parisienne.



D’autre part, elle n’est pas sans s’intéresser au milieu de l’éducation physique. Nombre de professeurs de cette discipline fréquentent le stage d’été de Talloires. A leur demande et à celle de stagiaires d’autres professions, afin d’approfondir les connaissances en eutonie, Gerda Alexander constitue un « Groupe International d’Eutonie ». Elle le conduira, par étapes, aux divers examens de sa méthode.



Jean DELABBÉ



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1  Autre grand observateur de la nature, François Malkowsky, danseur moderne, créateur (à la suite d’Isadora Duncan) d’une danse nommée « libre », avait pris, comme inspiration de certains mouvements, le modèle animal.



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