L’intention de mouvement

Réflexions à propos de la séance d’eutonie du 21 octobre 2006

Au Rouet à Marseille


Lorsque quelqu’un dit « Je vais faire telle ou telle chose », nous dirions la plus part du temps qu’il exprime une intention. Nous qualifions aussi parfois une action d’intentionnelle ; enfin, il nous arrive de demander dans quelle intention quelqu’un a fait telle chose. Dans chacun de ces cas, nous employons un concept d’intention.

« Cela pourrait nous amener à penser que le mot "intention" a différents sens. Il est sans doute préférable de le dissocier du mot "intentionnel" ; car une action peut-être intentionnelle sans pour autant être faite dans une intention »1. Par exemple en eutonie j’ai l’intention de faire un contact sur une zone précise d’une personne (action intentionnelle) sans avoir une intention précise, par exemple celle de supprimer une douleur, une tension…  A l’inverse si je constate une tension musculaire au niveau d’un muscle, je peux choisir, parmi les différentes techniques, le contact. Je le fais avec une intention de résultat possible, celui de diminuer cette tension qui redonnera au muscle toutes ses qualités physiologiques.


Mon propos, ici, est de me limiter à l’intention de mouvement ou à celui de préciser, comme dans le cas de ce que Gerda Alexander appelait une « étude », mes intentions dans la prestation que je viens d’exécuter, c’est à dire la recherche du mouvement « eutonique » aisé et économique. Autre chose sera d’indiquer les moyens ou techniques de l’eutonie mis en œuvre pour réaliser tel ou tel mouvement.


L’intention de mouvement fait partie des mécanismes mentaux liés aux différentes phases de la décision d’agir. Elle serait une représentation mentale du mouvement indépendamment des moyens de le réaliser.

Pour réaliser un acte moteur, le cerveau agit en trois temps :

  • Il se prépare d’abord à agir en vue d’un objectif. L’EEG2 enregistre une onde précoce.
  • Puis il se prépare à faire le mouvement nécessaire. En quelques millisecondes il sélectionne un mouvement particulier dans un répertoire d’actions pré-programmées.
  • Enfin il exécute le mouvement.


1/ Comment et quand devenons-nous conscients de nos mouvements ?


Les auteurs d’une étude relatée par la revue « Nature Neurosciences » en 2004 concluent que les sujets ont conscience qu’ils se préparent à bouger seulement après que les premiers signaux de leur intention aient été enregistrés dans leurs cerveaux. Le sujet commence également à prendre conscience de vouloir bouger quelques 350 millisecondes avant que le mouvement réel ait lieu.

Cette phase préparatoire ne se développe pas du tout chez les patients dont la partie postérieure du cerveau appelée cortex pariétal est endommagée.


Pour ces auteurs le cortex pariétal pourrait être responsable de la conduite de nos propres actions et de leur évaluation par rapport au but que nous nous sommes fixés. Le cerveau crée en quelque sorte un modèle, ou une copie, des intentions du mouvement que l’on veut faire, au niveau du cortex pariétal, avant la commande d’exécution qui passe par le cortex moteur situé dans la partie antérieure du cerveau.

Quand ce cortex pariétal est lésé, le mouvement est toujours possible, mais il est maladroit ; le sujet peut difficilement ajuster le mouvement, le corriger ou en apprendre un nouveau. Le cortex pariétal jouerait donc un rôle essentiel dans l’anticipation et dans le contrôle en ligne de nos mouvements.


2/ Anticipation et simulation mentale du mouvement :


Les techniques d’imagerie fonctionnelle cérébrale montrent les différentes régions cérébrales impliquées dans l’anticipation, la simulation mentale, l’exécution du mouvement.

Ces données permettent l’élaboration du concept de représentation mentale du mouvement. Ces régions cérébrales sont également activées à l’occasion de l’observation d’un mouvement.


3/ Modification de paramètres végétatifs :


Lors de l’activité représentationnelle, les commandes musculo-squelettiques sont inhibées alors que sont modifiés les paramètres végétatifs notamment cardio-vasculaires et respiratoires.

Nous savons d’autre part que l’intention de mouvement avec sa représentation mentale modifie le tonus musculaire.

Ce résultat est en faveur d’une activation du système nerveux végétatif concomitante à l’activation du système moteur cortical au cours de la représentation du mouvement.


4/ La passivité :


Telle que nous la pratiquons en EUTONIE, elle suppose de la part de la personne une inhibition du cortex moteur mais non une inhibition de la représentation et de la conscience des mouvements réalisés par un tierce personne. Le cortex pariétal est activé avec les modifications végétatives associées sur les plans cardio-vasculaire, respiratoire et cutané (modification de la résistance électrique de la peau), avec un effet sur la détente musculaire. Un mouvement passif n’active pas les fuseaux neuromusculaires responsables (FNM) de l’ajustement tonique consécutif à la modification de longueur des muscles. En situation active, ces FNM émettent des décharges proportionnelles à la longueur et à la vitesse d’étirement des muscles3. La passivité est un acte sensori-moteur avec représentation mentale et conscience plus ou moins affinée des mouvements induits par le partenaire ou par soi-même.


5/ Variations de la zone corticale excitable :


Des observations ont été faites avec des schizophrènes. Le but d’un des projets était de déterminer les variations de l’étendue de la zone excitable au cours de différents processus représentationnels. Avec l’apprentissage4 cette zone devient plus étendue tant dans la représentation du mouvement que dans son exécution chez le sujet sain. L’hypothèse d’une dissociation entre l’exécutif et le perceptif pourrait expliquer une partie des troubles de la motricité volontaire fréquemment observée chez les sujets schizophrènes ainsi que les perturbations de la représentation de soi. Nous avons parlé du rôle de la zone pariétale dans l’anticipation et le contrôle en ligne de nos mouvements, or le cortex pariétal est surtout le siège de la somesthésie ou sensibilité somatique (sensibilité tactile, thermique, nociceptive, proprioceptive consciente). Ceci pourrait expliquer cette dissociation entre l’exécutif et le perceptif chez le schizophrène. C’est ce que dit Alain Berthoz dans son livre « Le sens du mouvement » : « La perception est une action simulée. Elle n’est pas seulement une interprétation des messages sensorielles ; elle est contrainte par l'action, elle est simulation interne de l’action, elle est jugement et prise de décision, elle est anticipation des conséquences de l’action ». Il dit encore : « L’intention est prédiction ».


Osons dire que l’intention de mouvement est une simulation interne de l’action, prise de décision, anticipation des conséquences de l’action.


6/ Le concept d’intention :


« La décision » titre d’un autre livre d’Alain Berthoz paru en 2003 chez Odile Jacob traite de la notion d’intention.


Alain Berthoz écrit : « Au début est l’acte qui est toujours poursuite d’un but, il est toujours soutenu par une intention. Il se fait donc organisateur de la perception, organisateur du monde perçu. L’acte n’est pas le mouvement, l’acte est intention d’interagir avec le monde et avec soi-même comme partie du monde. »


L’intention permet de choisir dans une masse d’informations disponibles celles qui sont pertinentes par rapport à l’action envisagée. L’intention serait donc ce choix parmi tous les possibles et l’eutonie élargit par tous ses moyens et techniques la gamme des possibilités.

L’intention permettrait de se placer dans des conditions favorables à l’émergence d’une motricité non stéréotypée, non mécanique, qui peut évoluer, se modifier au cours de son déroulement. L’intention de mouvement permettrait aussi une meilleure prise de conscience.

D’après Haggard et Clark en 2003, « on devient conscient quand on se prépare à mouvoir un membre, son corps… et non pas dès que le cerveau décide d’agir. » L’intention serait préparation à l’action consciente.


Quant à la décision d’agir, sa physiologie peut aussi être celle de l’absence de décision, l’indécision, ou celle de l’inhibition de l’action comme dans les mouvements à deux de passivité.


7/ Perception de l’intention d’autrui :


Reproduire les mouvements d’une autre personne soit par imitation immédiate (en miroir ou en respectant la droite et la gauche), soit par reproduction différée :

Il s’agit de la notion de compréhension des intentions d’autrui que l’on retrouve aussi dans le travail de passivité à deux, dans un contact reçu ou dans l’observation d’un mouvement « eutonique » : repoussé, dessin, toucher mobile, étirements.


La pathologie nous renseigne sur la complexité de cette compréhension. Elle suppose le bon fonctionnement des structures nerveuses et mentales. La non réussite, comme chez les schizophrènes, s’expliquerait par des troubles perceptifs et du cortex pariétal comme indiqué plus avant.


8/ Une motricité particulière : le micro-mouvement


Le micro-mouvement, partie intégrante du mouvement eutonique, peut être volontaire mais il peut aussi se faire seul dans certaines conditions.

Jean Delabbé écrit : « Il suffit d’une mise en situation favorable pour que le déclenchement s’amorce sans entrer dans la dépendance d’un automatisme… La simple intention d’aller dans une direction préalablement tracée mentalement sous la forme d’une ligne va favoriser ce déclenchement. »

Dans son écrit sur « Le mouvement eutonique » il précise encore : « dans le mouvement eutonique n’existe plus de volonté globale (intention initiale) d’engagement moteur. C’est une organisation musculaire appelée « laisser faire » ou « laisser aller ». Abandonner toute connotation volontariste. C’est un acte gratuit. »


Dans son essai « Sensation Perception », Jean cite J. D. Vincent, Biologie des passions p. 157 :

« L’attention est à la perception ce que l’intention est à l’action…l’attention et l’intention : la première désigne sa liaison à l’objet choisi, la seconde son attachement au but à atteindre. »


9/ Action sur la douleur :


Comme je l’ai déjà signalé la pratique de l’intention va mettre en évidence des effets. Pour plus de détails je vous invite à vous reporter à l’essai de Jean sur « Le contact » p. 55.

Signalons le cas de la douleur5. Le contact à distance appelé au CRREE6 « contact de proximité » permettrait d’agir sur des zones douloureuses :

Jean écrit : « Parmi les modes opérationnels, comme le contact de proximité, l’intention permet de trouver une solution au développement de phénomènes douloureux dans des articulations bien spécifiques. »


10/ Conclusion :


Ce texte écrit dans l’urgence est à repenser et à compléter en fonction de vos remarques, apports, à la suite de la séance pratique du samedi 21 octobre 2006. C’est une contribution à la recherche d’explicitation de notre pratique. Cela pourrait faire l’objet d’un nouveau cahier du C M E. Telle était mon intention.


Michel Marchaudon

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1 Extrait du livre : L’intention d’Elizabeth Anscombe Ed. Gallimard, 1957

2 EEG : Électroencéphalogramme.

3 Voir le cahier n°6 du C M E page 6

4 Les sujets reçoivent l’instruction de simuler de façon répétée différents types de mouvements : soulèvement d’un poids par flexion du bras, ou mouvement de type tricotage.

5  Signalons la théorie du « portillon ». La stimulation de fibres de gros calibre par des messages non douloureux comme le tact bloque ou freine la transmission du message douloureux véhiculé par des fibres amyéliniques par la fermeture du portillon. Suite à un choc douloureux, nous frottons la zone pour calmer la douleur.

6 Centre Régional de Recherche et d’Étude eu Eutonie.


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